Interview de Pascale Baussant au podcast : « Si on parlait finance utile »

Affiche de Pascale Baussant et Christel Bapt, pour le podcast autour de la finance utile.

Pascale Baussant a été interviewée par Christel Bapt pour le podcast « Si on parlait finance utile » le mois dernier.

Lien pour écouter cet enregistrement : Christel Bapt reçoit Pascale Baussant

Retranscription de ce podcast :

Pourriez-vous vous présenter en 30 secondes ?

Je suis dirigeante d’un cabinet de conseil en gestion de patrimoine engagé de longue date dans l’investissement responsable. Cela constitue ma première et principale casquette. Je suis également présidente de 1% pour la planète France, qui est un collectif d’entreprise important ; je suis aussi l’auteur de trois livres de solutions pour le climat.

Pouvez-vous résumer votre parcours ?

J’ai toujours été très attachée à l’indépendance ; je crois que c’est ce qui caractérise depuis toujours mon parcours professionnel. J’ai exercé pendant sept ans le métier de conseiller en gestion de patrimoine en tant que salariée et je me suis lancée il y a un peu plus de 20 ans en créant mon cabinet de conseil en gestion de patrimoine indépendant, à l’âge de 29 ans. Puis, lorsque la quarantaine est arrivée, j’ai eu envie de rechercher un peu plus de sens et j’ai eu envie de donner un virage important à mon entreprise, Cela s’est fait sous deux formes : à la fois une recherche d‘investissements responsables dans notre offre mais également une recherche de cohérence. L’idée a donc été d’instaurer une démarche RSE (démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises) en interne. Cet engagement s’est ensuite développé pendant plusieurs années, jusqu’à la présidence du collectif 1% pour la planète.

Pourriez-vous nous donner quelques éléments de ce que fait un conseiller en gestion de patrimoine ?

Un conseiller en gestion de patrimoine accompagne les particuliers dans la durée, dans les différentes étapes de la gestion de leur patrimoine. On fait souvent le parallèle avec un médecin généraliste. On peut aborder comme un généraliste tous les sujets du patrimoine. Il peut s’agir de l’aspect fiscal, droit de la famille ou financier. A toutes les étapes de la vie où l’on peut avoir besoin de conseils, nous sommes là pour accompagner nos clients. Cela peut concerner des sujets extrêmement variés tels que « je souhaite préparer ma retraite », « je veux préparer le financement des études de mes enfants », « je viens de vendre un bien immobilier », « qu’est-ce que je peux faire pour placer cette épargne ? », etc. Notre objectif est d’accompagner nos clients dans la durée. Le fait d’être indépendant est évidemment très important aussi car nous n’avons pas de produit maison à vendre.

Vous êtes donc un généraliste mais avec quand même une spécificité ; la volonté de donner du sens à votre métier. A quel moment avez-vous eu ce déclic ?

Lors du passage de la quarantaine, j’ai eu l’envie de transformer l’univers dans lequel j’étais. Il y a deux solutions quand on a envie de s’engager : soit on quitte son univers, on rejoint l’économie sociale et solidaire, on rejoint une association, on change complètement de vie ; soit on essaie de transformer l’univers dans lequel on est. J’ai opté pour ce second choix, qui n’est pas forcément le plus facile. Je pense que de manière générale, la finance est un univers assez conservateur et je ne suis pas mécontente de contribuer à secouer un peu les choses. Je trouve l’idée de parvenir à transformer les choses de l’intérieur – même dans les univers les plus les plus conservateurs – intéressante. En tout cas, c’est celle que je porte.

Vous affirmez que l’épargne est un angle mort de l’action climatique. Pourquoi pensez-vous que c’est une bonne matière à travailler ?

Oui, absolument. Je crois que quand on s’intéresse à ces sujets de dérèglement climatique, évidemment, les chiffres sont vertigineux. Il peut être difficile de savoir par où commencer et de savoir quoi faire à titre individuel ou à titre professionnel.

Les sujets les plus classiquement abordés sont notamment le transport et l’alimentation. Effectivement, l’épargne est souvent un angle mort. On n’imagine pas l’impact que peut avoir l’épargne sur le climat. L’exemple que je donne souvent est le suivant : 3 000 € déposés pendant un an sur un compte courant classique d’une grande banque française est l’équivalent en termes d’empreinte carbone d’un vol Paris – New-York. En fait, lorsqu’on place son argent sur un compte courant, la banque va utiliser cet argent pour le prêter à des entreprises. Aujourd’hui, une grande partie de ces sommes sont utilisées pour prêter de l’argent à la construction de nouveaux projets pétro-gaziers. Malheureusement, ces projets sont extrêmement néfastes pour le climat. Le choix de son compte courant et de ses placements a donc une forte incidence.

Vous êtes très dynamique mais votre combat est rude. Affronter les grandes banques sur ce sujet est une lourde tâche qui nécessite une transition naturelle des économies qu’il va falloir engager. Ce n’est pas évident d’arriver au résultat que vous souhaitez du jour au lendemain.

Bien sûr. Je crois que ce qui compte vraiment c’est le chemin que l’on parcourt. Ce qui me semble vraiment très important, c’est de commencer à changer les choses, chacun à son niveau. Je ne dis pas qu’il faut forcément changer de banque ; ce n’est pas simple puisqu’on peut avoir un emprunt avec des mensualités à rembourser. En revanche, commencer pour une partie de son épargne à encourager des solutions plus vertueuses me semble intéressant. Evidemment, tout n’est pas parfait et la finance de manière générale a encore un long chemin à faire. Mais il commence à exister des solutions vraiment intéressantes, sans greenwashing, qui méritent d’être connues et encouragées.

Vous citez la solution RIFT dans votre livre « Agir pour le climat avec son épargne », une application qui permet de mesurer le niveau de contribution ou de détérioration climatique. Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur cette application ?

Absolument. Cette application qui n’en est encore qu’à ses débuts permet de mesurer l’empreinte carbone de son épargne, quelle qu’elle soit (compte courant, contrat d’assurance-vie, compte sur livret, plan retraite, etc.). Cette application est disponible gratuitement pour le grand public et on peut la télécharger sur son smartphone. Il est assez simple de faire des essais : en indiquant les types de comptes et de supports que l’on détient, ainsi que les sommes approximatives, l’application nous fournit une mesure d’impact. Bien que perfectible, cet outil est très intéressant puisqu’il nous donne un point de départ pour être ensuite sur un chemin d’amélioration.

Comment formez-vous vos clients et partenaires sur ces sujets de transition écologique ?

Il y a deux choses. Il y a évidemment la pédagogie que l’on peut apporter à nos clients personnes physiques, mais il y a aussi – et peut être surtout – la pédagogie qu’on doit apporter aux conseillers financiers. Je pense que le nerf de la guerre se trouve au niveau des conseillers financiers, parce que ces derniers ont une influence importante et sont prescripteurs. Baussant Conseil est engagé depuis longtemps sur ces sujets-là, et tente d’apporter cette pédagogie notamment à travers nos deux livres blancs sur l’investissement responsable disponibles en accès libre sur notre site internet, ainsi que de nombreuses publications. Cependant, je pense qu’il y a quand même un retard de la part de la finance en général sur ces sujets de formation.

J’ai par exemple cette année été contactée par l’AUREP, centre de formation incontournable, qui va accélérer sur le sujet de la finance durable et j’en suis très heureuse. On doit en effet accélérer sur ces sujets de formations. Je suis également engagée à la CNCGP où j’ai accepté d’être administratrice et où je préside la commission durabilité depuis l’année dernière. L’objectif est là aussi d’apporter des outils pour monter en compétences sur ces sujets-là. Par ailleurs, nous avons maintenant des questionnaires clients qui sont en train de changer, c’est-à-dire qu’on doit depuis quelques mois poser la question à nos clients sur leurs attentes sur les sujets de durabilité.

Selon vous, combien de cabinets intègrent de manière systématique le sujet de l’investissement responsable, du climat ou du social éventuellement ?

Voici quelques éléments de réponses. D’abord, une quinzaine de cabinets indépendants sont adhérents au collectif 1% pour la planète, ce qui montre une cohérence, un engagement altruiste qui est amené en parallèle de l’investissement responsable. Un autre indicateur intéressant est le nombre de membres de l’association les AFR (Acteurs de la Finance Responsable), qui en compte à peu près 250. Il y a 7/8 ans, lorsque j’ai porté ces sujets un peu plus sur la place, j’étais assez seule. Aujourd’hui, même si c’est encore timide, nous sommes de plus en plus nombreux.

Est-ce que la réglementation (articles, labels, taxonomies…) aide ou freine aujourd’hui ?

Je vais vous répondre avec mon point de vue de distributeur indépendant. Je ne conçois pas de produits ; je me contente de distribuer des produits existants. Il y a 7/8 ans lorsque j’ai commencé à m’engager, il y avait très peu de produits responsables. Aujourd’hui, on peut dire qu’on a le choix, qu’on a une offre qui se développe – même si elle n’est pas parfaite – et il y a une vraie volonté de la part des acteurs qui conçoivent les produits de proposer une offre alternative et sérieuse sur les sujets engagés. Donc je pense que la règlementation y a certainement été pour quelque chose, même si ce n’est peut-être pas le seul critère qui a poussé ces acteurs à s’engager. En tout cas, je constate que les résultats sont quand même là.

Si on devait retenir une réglementation qui fait vraiment bouger les choses aujourd’hui dans la matière de l’épargne pour les patrimoines des Français, laquelle serait-elle ?

Je pense que ce sont les questionnaires clients de la règlementation « MIF 2 ». Il s’agit des questions que l’on pose à nos clients. Celles-ci incluent les questions classiques telles que « qu’attendez-vous de vos investissements ? », « quel est votre horizon ? », « quel est votre niveau de risque ? », « quelle est votre expérience passée ? » qu’on doit continuer de poser. Maintenant, on rajoute à cela des questions complémentaires comme « est-ce que les sujets de durabilité vous intéressent ? Si oui, à quelle hauteur ? » qui permettent de placer le curseur avec des fourchettes de pourcentages, ainsi que d’autres questions un peu plus concrètes sur les thématiques qui les intéressent par exemple. Le vrai grand changement va être : comment en tant que conseiller financier, une fois que mon client a exprimé ses idées, je mets en place une offre pour répondre à sa demande. Nous sommes donc en plein dedans aujourd’hui.

Vous êtes administratrice et présidente du 1% pour la planète France. Parlez-nous un peu de cette association.

Le 1% pour la planète est un collectif d’entreprises qui regroupe des entreprises engagées qui acceptent de reverser 1% de leur chiffre d’affaires (ou bien d’une marque ou ligne de produit) à du mécénat environnemental. Il faut savoir que le mécénat environnemental est le parent pauvre de la philanthropie. Il ne représente que 7% des sommes données alors que les défis sont évidemment immenses. Le but du 1% n’est pas de grignoter des parts aux autres causes, mais c’est surtout que le gâteau augmente et que la philanthropie environnementale augmente. Lorsque j’ai fait adhérer mon cabinet en 2018, nous étions 170 entreprises en France et aujourd’hui on vient de passer le cap des 1200 entreprises en France, sachant que c’est un collectif mondial.

Est-ce que les grandes entreprises adhèrent au 1% pour la planète aujourd’hui ?

Non, aujourd’hui ce sont surtout des entreprises familiales avec une liberté de décision au niveau de l’actionnariat. 1% du chiffre d’affaires chaque année quelque soit le résultat est un engagement qui est très fort. Bien sûr, cela peut se faire pour les plus grandes entreprises sur une ligne produits ou une marque. Ce qui est intéressant, c’est de voir aussi que dans l’univers de la finance, il y a quelques sociétés de gestions qui ont amené leurs fonds à adhérer au 1% pour la planète. Cela date de l’an dernier, c’est pionnier.

Est-ce qu’avec 1%, on peut sauver la planète ?

Non, mais cela peut quand même grandement y contribuer. Lorsque l’on côtoie les associations environnementales, on se rend compte du travail colossal et formidable qu’elles font sur le terrain. Donc, quand on est une entreprise à but lucratif, aider des associations à but non-lucratif, je trouve que c’est extrêmement vertueux. D’ailleurs, cela donne beaucoup de sens au travail des collaborateurs de se dire qu’on a cette partie-là aussi dans ses activités. Est-ce que cela sauvera complètement la planète ? Je n’en suis pas sûre, mais en tout cas cela y contribuera fortement.

N’est-ce pas le rôle des politiques publiques de travailler sur le financement des transitions écologiques ?

Bien sûr. Nous n’avons pas forcément la main pour pousser ou inciter nos politiques à en faire plus. En revanche, là où on a la main, c’est justement dans nos univers professionnels – et à titre personnel évidemment – où l’on peut pousser les solutions les plus engagées et faire en sorte d’avoir un impact sur ce que l’on fait dans son quotidien.

On parle beaucoup du climat, mais moins du social. Pourquoi ?

Oui, vous avez raison. De mon côté, je dirige un cabinet de petite taille donc je ne peux pas m’éparpiller non plus. Il est vrai que l’aspect social est un aspect fondamental. D’ailleurs, on parle souvent de transition juste : la transition environnementale doit s’accompagner d’un aspect social fort et malheureusement, c’est un sujet qui peut être oublié. Il est donc important évidemment aussi de promouvoir des solutions d’investissement par exemple avec pourquoi pas un reversement, un aspect social ou solidaire. Vous avez d’ailleurs été à l’initiative d’un fonds que l’on distribue dans le cabinet, la SC Pierre Impact. Je trouve intéressant que ce type de solution soit accessible par le grand public. C’est un fonds qu’on peut trouver dans un contrat d’assurance-vie classique, avec un minimum d’investissement faible. Ce fonds amène une dimension sociale qui est malheureusement aujourd’hui trop peu travaillée.

Comment aider les jeunes d’aujourd’hui ? Y a-t-il des solutions plus adaptées à eux ? Qu’en est-il des néo-banques ?

Je fais partie de ceux qui pensent que tout compte et tout va servir d’amortisseur. Donc pour un jeune qui débute et qui n’a pas forcément beaucoup d’expérience, peut être qu’effectivement le choix d’une néo-banque verte pourra lui faire du bien. Après, le jour où il aura besoin d’un emprunt, il faudra qu’il s’oriente vers une banque un peu plus classique. Quand on est jeune, on commence généralement par placer son argent par de l’épargne mensuelle et donc les solutions dont on a parlé tout à l’heure via l’intermédiaire de l’assurance-vie sont des solutions d’épargne très accessibles pour un jeune qui démarre et qui a un peu d’épargne à placer. Je pense que c’est important aussi d’avoir des solutions relativement pures. En particulier, on a le sujet des énergies fossiles qui peuvent crisper certains jeunes très engagés : on peut donc s’orienter vers des fonds avec le label Greenfin par exemple qui évite totalement les énergies fossiles. Cela a le mérite d’être simple et lisible.

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